Extrait La Louve

LA LOUVE
Dans l’ombre, elle porte la lumière.
Feema Kent, une jeune femme autiste au mystère profond, découvre qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. Ses dons extrasensoriels la consument lentement. Elle choisit alors de s’isoler complètement pour consacrer le temps qu’il lui reste à sa plus grande passion : la musique.
Feema est une compositrice talentueuse qui transmet des messages puissants à travers ses œuvres. Pour le monde, elle aspire à créer son chef-d’œuvre, son testament artistique.
Mais la rencontre avec Caroline, une collègue musicienne, va bouleverser sa vie…
Type : Roman
Date de parution : 1998
Éditeur : Auto-édité
Le Son du Boomerang
Encore une fois, la même phrase parvenait à mes oreilles.
— Qu’est-ce que tu es excessive ! me lança Caroline alors que nous rentrions dans le salon à peine éclairé.
Caroline partageait ma vie depuis deux ans, et c’était la première fois que je la voyais irritée et nerveuse. D’habitude si calme et posée, elle s’était assise sur la chaise la plus inconfortable de la pièce et triturait machinalement sa montre. Toute la soirée au restaurant, elle m’avait taquinée, titillée, provoquée comme si elle cherchait la dispute.
Je m’agenouillais devant elle, proche, très proche. Je la regardais dans les yeux, fixement, pour essayer de la calmer. Mes mains se posèrent sur ses genoux, et je sentis une chaleur intense dans mes paumes.
— Qu’est-ce que tu fais ? me dit-elle, les yeux baissés et le souffle court.
Je restais dans la même position, immobile et silencieuse.
— Tu sais que tu as un regard très particulier, Feema. Comme ton prénom, d’ailleurs. Quand tu me regardes comme ça, je ne peux plus détacher mes yeux des tiens. J’ai même peur de cligner des yeux et que tu t’envoles !
J’esquissai un sourire tandis que Caroline fronçait les sourcils, toujours plongée dans mon regard. Je me levai brusquement, secouai les poussières sur les genoux de mon jean et m’installai confortablement dans le canapé chocolat en face de la grande baie vitrée donnant sur le jardin.
— Parle-moi, s’il te plaît ! La demande de Caroline avait quelque chose de vital, essentiel.
— Que je parle ou pas, c’est la même chose, ça ne changera rien, lui répondis-je.
— Non, ce n’est pas vrai ! cria Caroline, tandis qu’un chien aboyait juste à côté. La superposition des deux « voix » était sublime et parfaitement synchronisée. Ce mélange captait toute mon attention, et j’en oubliais presque la solennité du moment.
— Quand tu me parles, j’ai l’impression d’être la personne la plus importante au monde et que tu es là pour moi, rien que pour moi. Tu vois ce que je veux dire ?
La beauté de sa voix seule me fit revenir immédiatement au centre du salon.
— Et en même temps, ce qui me surprend le plus chez toi, c’est la qualité de ton silence. Plutôt devrais-je dire la pureté de ta respiration et de ta présence. À côté de toi, mon souffle s’amplifie, mes mains se délient et ma poitrine s’ouvre. J’ai tout le temps envie de sourire.
J’avais gardé les yeux fermés pendant toute sa tirade, et au moment où je tournais la tête pour la regarder, elle me demanda :
— À quoi penses-tu ?
Sans réfléchir une seconde, je répondis d’une voix chaude et très douce :
Je trouve très douloureux d’être à côté de la personne que l’on aime le plus au monde et de se sentir aussi seule.
Caroline s’effondra et se mit aussitôt à pleurer à chaudes larmes.

