Extrait La Louve
Le son du boomerang
Encore une fois, la même phrase parvenait à mes oreilles.
— Qu’est-ce que tu es excessive ! me lança Caroline alors que nous rentrions dans le salon à peine éclairé.
Caroline partageait ma vie depuis deux ans, et c’était la première fois que je la voyais irritée et nerveuse. D’habitude si calme et posée, elle s’était assise sur la chaise la plus inconfortable de la pièce et triturait machinalement sa montre. Toute la soirée au restaurant, elle m’avait titillée, taquinée, provoquée comme si elle cherchait la dispute.
Je m’agenouillais devant elle, proche, très proche. Je la regardais dans les yeux fixement pour essayer de la calmer. Mes mains se posèrent sur ses genoux et je sentis une chaleur intense dans mes paumes.
— Qu’est-ce que tu fais ? me dit-elle avec les yeux baissés et le souffle court.
Je restais dans la même position, sans bouger d’un cil et en silence.
— Tu sais que tu as un regard très particulier, Feema. Comme ton prénom d’ailleurs. Lorsque tu me regardes comme ça, je ne peux plus décrocher mes yeux des tiens. J’ai même peur de cligner et que tu t’envoles !
J’esquissai un sourire tandis que Caroline fronçait les sourcils, toujours plongée dans mon regard. Je me levai brusquement, secouai les poussières sur les genoux de mon jean et m’installai confortablement dans le canapé chocolat en face de la grande baie vitrée donnant sur le jardin.
— Parle-moi, s’il te plaît ! La demande de Caroline avait quelque chose de vital, essentiel.
— Que je parle ou pas, c’est la même chose, ça ne changera rien, lui rétorquai-je.
— Non, ce n’est pas vrai ! cria Caroline en même temps qu’un chien aboyait juste à côté. La superposition des deux « voix » était sublime et synchronisée. Ce mélange retenait toute mon attention, et j’en oubliais presque la solennité du moment.
— Quand tu me parles, j’ai l’impression que je suis la personne la plus importante au monde et que tu es là pour moi, uniquement pour moi. Tu vois ce que je veux dire ?
La beauté de sa voix seule me fit revenir directement au centre du salon.
— Et en même temps, ce qui me surprend le plus chez toi, c’est la qualité de ton silence. Plutôt devrais-je dire la pureté de ta respiration et de ta présence. À côté de toi, mon souffle s’amplifie, mes mains se délient et ma poitrine s’ouvre. J’ai tout le temps envie de sourire.
J’avais fermé les yeux tout le temps de sa tirade, et au moment où je tournais la tête pour la regarder, elle me demanda :
— À quoi penses-tu ?
Sans réfléchir une seconde, je répondis d’une voix chaude et très douce :
— Je trouve très douloureux d’être à côté de la personne que l’on aime le plus au monde, et de se sentir aussi seule !
Caroline s’effondra et se mit aussitôt à pleurer à chaudes larmes.

